« Après pratiquement trente ans de scène en solitaire et après avoir découvert le bonheur de changer, d'improviser et d'inventer tous les soirs des prolongements au texte écrit, j'ai décidé de faire un nouveau spectacle. En toute liberté ».Tel est le nouveau crédo de Michel Boujenah, en plein rodage de son nouvel opus humoristique, le bien nommé « Enfin libre ! ». Les rapports entre les hommes et les femmes, la difficulté d'être soi-même, de s'accepter comme on est, grand ou petit, beau ou laid, et de trouver où se cache la véritable beauté d'un être humain, le rapports au théâtre classique, à la poésie, tout est bon à la verve de ce nouveau spectacle, où l’humoriste parle lui-même et fait parler tous ses personnages, devenus si chers au cœur du public, de Julot et Guigui à Maxo et Simone Boutboul, qui ont vieilli avec l’artiste mais s’aiment encore comme au premier jour. La cinquantaine heureuse, ce touche-à-tout de l’art et du jeu qui revient à ses premières amoures, après avoir écrit, produit, réalisé, et même présidé un grand festival de théâtre français, réfute la notion de « bilan » pour lui préférer celle de « renaissance ». Michel Boujenah, soucieux de partager la joie de cette nouvelle aventure avec le public francophone d’Israël, s’est confié au Jérusalem Post.
Ce nouveau spectacle vous arrive-t-il comme une surprise ?
Je dirai plutôt qu’il arrive comme un cadeau. Avec mon dernier spectacle « Les Nouveaux Magnifiques », je me suis rendu compte que j’avais acquis une certaine liberté de ton. C’était tout a fait nouveau pour moi et j’ai commencé à travailler avec cette liberté. Je ne croyais vraiment pas que j’allais faire un nouveau spectacle. Mais il est venu à moi de manière très harmonieuse, très tranquille, et je me suis beaucoup amusé. D’habitude, je m’enferme, je m’angoisse. C’était presque trop facile. Au début, ça m’a inquiété, mais mes collaborateurs m’ont dit : « écoutes, ça fait trente ans que tu travaille, c’est normal que cela soit plus facile certaines fois que d’autres ». Je me dis que c’est un peu comme tomber amoureux. Ca arrive naturellement, quand on est prêt pour ça.
Qu’est-ce que ça veut dire, « un spectacle ou je vais faire tout ce que je veux » ?
Mon spectacle n’a pas de thème défini en dehors de la liberté elle-même. La seule chose qui donne une cohérence au spectacle, c’est le fait que c’est moi qui parle. Dans les précédents spectacles c’était toujours les autres qui parlaient. Bien sur que, là aussi, mes personnages reviennent. On n’a qu’une famille, que ce soit celle de la vraie vie ou celle de l’imaginaire. Mais cette fois-ci, c’est comme si ce qu’il y a derrière le rideau était plus fort. C’est bizarre, parce que c’est à la fois très intime, et très universel. Les gens me disent que le spectacle ne parle que d’eux, et pourtant je ne suis plus du tout seulement en train de me poser des questions sur le judaïsme et sur les tunes. Je travaille sur des thèmes communs, au fond, à tout le monde.
Votre relation avec le public a-t-elle muri ?
Il est certain que, depuis que j’ai commencé à réaliser des films, le public me regarde différemment. Les gens ont commencé à comprendre, avec « Père et Fils » et avec « Trois amis », que derrière le coté « Maxo Boutboul » rigolo, ça fait des années que je travaille sur des sujets qui touchent tout le monde. En réalité, ce que je cherche depuis toujours, ce n’est pas que les non-juifs comprennent les juifs, mais c’est que les non-juifs se rendent compte que les juifs sont comme eux, qu’on arrête de les voir comme des gens différents. Ce que je veux, c’est montrer ce qu’on a tous en commun, et que l’on peut partager des souffrances, des joies, sur des sujets qui ne sont pas forcément liés au judaïsme.
Justement, la situation des juifs en France n’est pas des plus facile en ce moment, sutout depuis la guerre à Gaza contre le Hamas…
J’ai eu les gens de Sdérot au téléphone, pendant le conflit, et je leur ai dit que j’étais prêt à aller jouer là-bas gratuitement pour les soutenir. Malheureusement, en France, une fois de plus, les médias ont donné une vision du conflit qui a été très dure pour Israël. Je suis sioniste et en même temps je suis pour que le peuple palestinien ait un Etat. C’est la seule solution possible. L’intervention israélienne a gaza était, hélas, nécessaire. Recevoir des roquettes sans arrêt, c’est insupportable, et ça ne pouvait pas continuer comme ça. Une guerre, c’est toujours quelque chose de terrible et de tragique. Bien sur qu’il faut tendre la main vers la paix. Mais ce qui me dérange, c’est qu’on demande à Israël d’être parfait, de ne jamais faire d’erreur, comme si c’était possible. Si on se défend, on est des monstres, et si on ne se défend pas, on meurt. Alors qu’est-ce qu’on doit faire ?
Allez vous venir présenter le spectacle en Israël et quels sont vos projets à venir?
La date initiale du 24 mai, qui était prévu pour le spectacle à Tel-Aviv, a été reportée, mais ça va se faire et je veux venir voir mon public en Israël. En France, après le rodage, les grandes salles sont prévues pour 2010. Parallèlement au spectacle, je travaille sur le scénario d’un nouveau film qui va s’appeler « Jamais perdu, toujours gagné ». C’est l’histoire d’une jeune femme issue d’un milieu pauvre qui épouse un homme très riche et qui, parce qu’elle a perdu ses repères, fait une bêtise, et se retrouve condamnée à trente jours de travaille d’intérêt général, où elle va devoir s’occuper de SDF. Et dans le cadre de ce travaille, elle va rencontrer un type qui a tout perdu. Voici le dialogue de leur rencontre :
Comment vous vous appelez ?
Victor Boutboul.
Victor Boutboul ? C’est rigolo. Vous êtes juif ?
Oui, je suis juif. Et alors ?
Ben, d’habitude, les juifs, c’est des grands hommes d’affaire.
Vous avez d’autres conneries comme celle-là ?
…Et vous n’avez pas de famille ?
Non, je n’ai pas de famille. Pourquoi ?
Parce que les juifs, en général, ils ont des grandes familles…
Regardez-moi bien. Je suis juif, je suis un mauvais homme d’affaire, et je suis seul. Bon, maintenant, on peut parler d’autre chose ?
L’avant-goût d’une belle réponse aux aprioris antisémites qui font tant de mal a la communauté juive française et qui ont engendré, entre autres nombreuses agressions, le meurtre tragique d’Ilan halimi. A très bientôt, Victor Boutboul. Nous avons tous très envie de vous rencontrer…
Sandrine Bendavid (Jerusalem Post Edition Française, avril 2009)