Antibes Théâtre Culture
Le comédien reprend, ce jeudi et vendredi à Antibes et dimanche à Beaulieu, "Inconnu à cette adresse". Un texte de 1938, racontant, à travers l’éloignement de deux amis en pleine montée du nazisme, l’endoctrinement.
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Amélie Maurette Publié le 21/11/2024 à 12:30, mis à jour le 21/11/2024 à 12:30
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Il n’aurait pas dû être disponible. En pleine écriture, chez lui à Saint-Paul-de-Vence, de son prochain film – une adaptation de ses "Magnifiques" qu’il rêve de tourner à Nice – Michel Boujenah a finalement dit oui. Ok pour une reprise d’"Inconnu à cette adresse", texte qu’il avait déjà joué à Paris avec Charles Berling et à Anthéa, à Antibes, dans une mise en scène de son directeur Daniel Benoin, également son partenaire de plateau.
Devant les scolaires et les habitués du théâtre antibois ce jeudi et vendredi, et devant un autre public qu’il compte bien embarquer au Casino de Beaulieu-sur-Mer dimanche, Michel Boujenah reprendra donc ce texte de l’Américaine Kathrine Kressmann Taylor. Le récit, à travers 19 lettres entre deux amis, un Américain et un Allemand, l’un juif l’autre non, de la montée du nazisme et de l’endoctrinement. "J’ai dit oui, parce que c’est Daniel et parce que c’est ce texte, que j’aime et qui a du sens, surtout aujourd’hui."
En avril 2021, au moment de sa création ici-même, vous disiez que cette pièce avait ‘‘une résonance contemporaine’’. Peu de temps après, c’est encore pire?
Oui… Même si ce que raconte ce texte est très différent de ce qui se passe aujourd’hui. Il y a un texte que j’aime beaucoup aussi, qui s’appelle ‘‘Lettres à Nour’’ [de Rachid Benzine] qui a été joué aussi, une correspondance entre un père et sa fille, où il découvre qu’elle est chez Daesh. à travers leur correspondance, on voit comment elle est contente au début puis comment elle prend conscience de sa condition de femme à l’intérieur… On pourrait aussi imaginer un autre texte, deux amis, dont un s’est radicalisé et l’autre ne comprend pas, ça aurait un sens très fort. Pour moi, quels que soient les événements aujourd’hui, mes amis d’enfance, c’est mes amis d’enfance. Cette pièce parle aussi de ça, de l’amitié, et de comment un homme abandonne son ami.
Vous jouez pour les scolaires et échangez avec eux, comment ça se passe?
J’adore. Ils découvrent des choses qu’ils n’imaginaient pas. Je n’aime pas les mots ‘‘éducation’’, ‘‘pédagogie’’, mais la culture, c’est important et ça doit se partager. Je ne suis pas prof de maths, heureusement pour les enfants! Mais j’aime l’idée qu’on leur raconte une histoire, que ça va les toucher, et qu’à travers cette émotion-là, ils vont se poser des questions. Ce spectacle, c’est pour ça que c’est important de le jouer pour eux et de le jouer hors les murs du théâtre aussi, comme au Casino de Beaulieu, dans un espace qui n’est pas habitué à ce genre de spectacle. On rencontre un autre public.
Vous avez été surpris par les questions lors d’échanges à la suite de cette pièce?
Oui. On dit ‘‘l’Histoire ne se repasse pas les plats’’, c’est vrai, c’est comme si à chaque fois il fallait rappeler aux gens, notamment à la jeunesse, ce qui s’est passé, que l’Histoire c’est important. Les gens oublient, veulent effacer. Et pourtant, les horreurs dans le monde recommencent, prennent un visage différent mais sous le masque c’est la même chose, c’est la violence des hommes. Souvent des hommes, j’ai toujours pensé que c’était les femmes qui devaient nous sauver, on n’a pas le pouvoir que les femmes ont sur la vie.
Ce texte a d’ailleurs été écrit par une femme sous un pseudonyme masculin…
Et c’est d’autant plus tendre, c’est une femme qui raconte cet amour de deux hommes, parce que c’est une histoire d’amour, qui se termine tragiquement, une histoire de trahison aussi. Cette pièce est aussi, et c’est magnifique, l’histoire du courage d’une femme. Le personnage qui est ma sœur dans l’histoire, n’a jamais caché qui elle était, a crié avec fierté son nom et a dû fuir parce que sa vie était en danger. Quand je pense à ça, ce personnage qui dit ‘‘je suis juive et je vous emmerde’’ en gros, ça me fait penser à cette femme qui s’est mise en soutien-gorge, en Iran, qui a été internée. C’est en ça que l’Histoire se répète, avec des visages différents. L’année dernière ou il y a deux ans, quand j’ai joué cette pièce, je ne pensais pas à ça.
L’actualité influence votre façon de dire un texte ?
Oui. Là, je vais penser à cette femme. Et à tous ces gens qui se sont levés contre les dictatures.
Quand on redescend de scène après un tel spectacle, voit-on la réalité d’un autre œil ?
Ah… Si les artistes avaient changé le monde, ça ferait longtemps qu’on serait au paradis! Le pouvoir de l’art, c’est d’alerter. C’est nous tous, les gens, qui changeons le monde ensemble. Donc si l’art peut faire quelque chose c’est… Il n’a aucune fonction pédagogique mais a une fonction émotionnelle et si on est attiré, bouleversé par un spectacle, un film, il peut se passer un truc. Je crois à l’art de la récréation, pas de divertissement. Parce que divertir, c’est détourner. Et on peut se servir de l’art comme d’un élément très nocif pour la société. Eux, les Nazis dont on parle dans la pièce, ils s’en sont servis à mort.
Savoir+
Jeudi 21 et vendredi 22 novembre. Anthéa, Antibes. Complet. Et dimanche 24 novembre à 19h. Casino de Beaulieu-sur-Mer. 25 euros.